C’est un secret de polichinelle. Les transferts de fonds émanant de la diaspora africaine sont des ressources précieuses pour leurs pays d’origine. La communauté des émigrés africains compterait aujourd’hui pas moins de 140 millions d’individus à travers le monde, selon la Banque mondiale. En 2017, ces expatriés ont envoyé 65 milliards de dollars, soit plus du double de l’aide publique au développement, estimée à 29 milliards de dollars.

Presque les 2/3 de cette masse monétaire sont destinés à leurs familles et autres proches. Prenons le cas du Sénégal où seuls 40% des fonds de la diaspora sont envoyés au pays, et sur ce ratio, 20% sont destinés aux familles des migrants pour des besoins de consommation (frais de santé, scolarité, immobilier, etc.), et les 20% restants logés dans les comptes d’épargne. Et sur ces 20%, seuls 5% sont investis dans de petits projets, selon un rapport de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao).

N’est-il pas temps de passer d’une logique de subsistance à un défi de croissance? Autrement dit, ne faudrait-il pas privilégier l’investissement productif au détriment de la consommation excessive ? Les obligations de la diaspora constituent une belle alternative pour inverser cette tendance…

Les « diaspora bonds » sont en fait des emprunts obligataires émis par un gouvernement à destination de sa diaspora, afin de puiser dans ses actifs présents dans leurs pays de résidence. Ces derniers pourront ainsi y souscrire, en tant qu’investisseurs, contribuer à l’édification d’infrastructures dans leurs pays d’origine et, par ricochet, participer à la croissance de leurs fiefs. Le remboursement pourra se faire par annuités (l’emprunteur remboursera toujours la même somme, que cette somme corresponde à une partie du principal ou à une partie des intérêts). L’État peut soit restreindre cet emprunt aux seuls membres de sa diaspora ou l’ouvrir à d’autres investisseurs.

Ce mode de financement renferme plusieurs avantages pour les États africains. D’abord, cela leur permettra de cartographier leur diaspora et d’avoir une meilleure visibilité sur leur puissance financière. Ces ressortissants seront aussi prêts à recevoir une prime de risque moins élevée qu’un investisseur ordinaire, car privilégiant avant tout le patriotisme économique.

Ensuite, ils ne seront plus contraints d’effectuer des emprunts sur le marché international des capitaux ou auprès des institutions financières avec souvent des taux de remboursement très élevés. Le niveau de la dette de plusieurs pays est plus qu’alarmant. 18 pays étaient exposés à un risque élevé de surendettement en mars 2018 contre 8 en 2013 d’après la Banque mondiale.

Les cas d’école ne manquent pas. L’Éthiopie fut le premier pays africain à tenter cette expérience d’abord en 2008, puis en 2011 avec un emprunt remboursable sur 10 ans. Le Nigéria lui emboîtera le pas plus tard, non sans succès. Le 19 juin 2017, la deuxième puissance du continent a réussi à lever, en une seule journée, 300 millions de dollars auprès de ses diasporas basées en Grande-Bretagne et aux États-Unis en s’appuyant notamment sur des banques nigérianes (UBA et FNB) présentes sur place.

Ces deux pays se sont sûrement inspirés de l’expérience d’Israël et de l’Inde, précurseurs en la matière. Le premier a levé 32 milliards de dollars auprès de sa diaspora en 1951, tandis que le second a sollicité l’apport de ses expatriés en 1991, 1998 et 2000 (5,5 milliards de dollars pour cette dernière opération) pour rééquilibrer sa balance des paiements suite aux sanctions internationales après ses essais nucléaires. Selon la Banque mondiale, la dette « diaspora » de Tel-Aviv représentait, en 2005, plus de 30% de l’encours total de la dette extérieure du pays. Un chiffre qui fait réfléchir…

Par Élimane Sembène