«CFC offre des avantages pour fluidifier le climat des affaires en Afrique»

Said Ibrahimi, Directeur général de Casablanca Finance City (CFC)

Casablanca Finance City (CFC) est aujourd’hui l’un des plus grands centres financiers du monde. Elle occupe la première place en Afrique et la 28e au monde devant de grands centres comme Séoul et Doha, selon le dernier Global Finance Centers Index (GFCI). Dans cet entretien, Said Ibrahimi, directeur général de CFC, nous révèle les secrets de cette performance, les catégories d’entreprises membres de CFC, la place qu’occupe la finance verte dans ses activités et projets, et esquisse les perspectives.

Vous attendiez-vous à ce rayonnement précoce cinq ans en arrière, lors du lancement des activités de CFC?

Dans le récent classement GFCI paru en septembre, CFC est entrée dans le premier tiers des places financières internationales, à la 28e place, devant Maurice (49e), Johannesburg (57e) et un nouvel entrant Le Cap qui se place 38e. Dès le départ, l’un de nos objectifs était d’intégrer ce classement qui est largement suivi par les investisseurs et à l’échelle internationale. Aujourd’hui, c’est donc chose faite. Casablanca est en bonne place sur les radars internationaux et en tête du classement en Afrique. Il faut savoir que des efforts importants ont été entrepris pour atteindre ce palier, mais nous continuons à travailler pour asseoir ce positionnement, en améliorant notre attractivité et en renforçant notre communauté d’affaires.

Concrètement, quels sont les secrets de cette performance?

Il n’y a pas de secret, mais plutôt une stratégie bien pensée visant à positionner Casablanca comme une plateforme de premier plan en Afrique, pour l’Afrique. Le Maroc était déjà considéré comme une porte d’entrée sur l’Afrique, fort de ses liens culturels et historiques. Cette position s’est renforcée ces dernières années grâce à notre stabilité politique, notre dynamique de réformes, des infrastructures maritimes et aériennes de qualité et un secteur banques et assurances solide, présent dans 34 pays du continent.
Il faut se souvenir que lorsque CFC a été lancée en 2010, l’idée même de servir le continent à partir d’une place financière régionale était nouvelle. Nous avons fait en sorte de créer un environnement des affaires sécurisant et incitatif, avec pour effet d’améliorer la confiance des investisseurs et d’attirer un nombre croissant d’entreprises internationales de renom. Avec CFC, plus de 160 entreprises de premier plan sont installées à Casablanca et font du business dans 46 pays africains.
Enfin, Casablanca jouit d’un avantage réputationnel certain. Grâce aux atouts stratégiques du Maroc, la place financière casablancaise a été citée à plusieurs reprises parmi les centres financiers les plus prometteurs au monde.

Les entreprises ayant le statut CFC ont effectué 74% des investissements marocains en Afrique en 2017 selon vos statistiques. Peut-on connaitre les principaux secteurs qui ont polarisé ces flux financiers?

Ces chiffres sont issus de l’Office des changes et correspondent à l’activité 2016. Ils traduisent parfaitement le rôle catalyseur de CFC pour les entreprises en Afrique et l’avantage qu’elles ont à s’y installer. Conformément à cette vocation, nous avons accueilli le Fonds d’infrastructure Africa50, créé par la Banque africaine de développement (BAD) pour financer le développement de projets d’infrastructures en Afrique, dont l’objectif à terme est d’investir 100 milliards de $ dans les infrastructures et le développement durable.
Notre communauté d’affaires compte aussi des gestionnaires d’actifs, des fonds d’investissement tels que Wendel Africa, ainsi qu’un certain nombre d’acteurs décisifs dans les opérations de due diligence.
Au total, nous avons quatre catégories d’entreprises qui couvrent une multitude de secteurs : les institutions financières, les services professionnels, les sièges régionaux de multinationales et les holdings.

Je pourrais vous donner de nombreux exemples d’entreprises qui pilotent leurs activités depuis CFC. Le groupe Accor, présent à CFC depuis 2014, est particulièrement actif, avec une présence dans 18 pays du continent. De même que des institutions comme les banques Attijariwafa bank, BMCE Bank of Africa ou encore l’assureur Allianz. Je pourrais vous citer également le Boston Consulting Group (BCG) qui pilote ses activités en Afrique à partir de Casablanca.

Parmi vos entreprises labellisées, seules 3% sont originaires d’Asie contre 43% pour l’Europe et 35% pour l’Afrique. N’est-ce pas un pourcentage faible si l’on sait que l’Asie est devenue un partenaire économique majeur pour le continent, avec comme principale locomotive la Chine?

La Chine est un partenaire stratégique du Maroc depuis 2016. Au niveau de CFC, nous avons signé deux partenariats cette année, le premier avec Pékin et le second plus récent avec Shanghai, visant à renforcer les relations et la promotion bilatérale des investissements. Il faut néanmoins garder à l’esprit que les Chinois ont plutôt tendance à investir directement dans les pays concernés dans de grands projets d’infrastructures. En parallèle, la démarche des pays asiatiques consiste souvent à prendre le temps d’identifier des opportunités de marché à long terme.

Dans ce contexte, CFC offre des avantages certains pour fluidifier la vie des affaires en Afrique. Bank of China, par exemple, qui est la plus ancienne banque chinoise et la cinquième au niveau mondial en termes d’actifs, a rejoint CFC fin 2015 avec pour objectif de mieux servir la sous-région francophone.

Je pourrais vous citer l’exemple de Huawei, qui a démarré ses activités fin 2017 à Casablanca avec une montée en charge très nette depuis. Dans ce cadre, CFC a facilité leurs démarches d’installation, de visas, de permis de travail, etc.
Nous suscitons aussi de l’intérêt au Japon et en Corée. Plusieurs entreprises de ces pays ont rejoint notre communauté d’affaires, comme les géants Sumitomo, Marubeni et Santori. D’autres entreprises importantes sont par ailleurs dans le pipeline. Ces projets prennent le temps pour mûrir, mais nous sommes confiants qu’ils se concrétiseront par des projets ambitieux pour le Maroc et notre continent.

Dans un rapport publié en 2018, la banque centrale du Maroc, Bank Al-Maghrib, indique que CFC est «pénalisé par certains facteurs structurels liés à son environnement économique et institutionnel» comme l’étroitesse des marchés des capitaux marocains, et la cotation des entreprises africaines, des project bonds africains et des fonds en dirhams et en devises. Comment comptez-vous lever ces obstacles?

Nous partageons ce constat fait par Bank Al-Maghrib. Il y a un contexte international particulièrement favorable pour que le Maroc fasse plus et mieux en tant que centre financier et plateforme d’investissement pour les investisseurs internationaux et africains. Cela passe par des réformes de textes de lois et d’autres aspects qui nécessitent du temps et de la coordination, notamment avec nos partenaires africains. L’objet de toutes ces réformes est de permettre à la place financière de Casablanca de drainer encore plus de capitaux internationaux vers le continent.

Vous avez créé le Centre international de médiation et d’arbitrage de Casablanca (Cimac) dédié aux litiges commerciaux. Est-ce une manière de se positionner comme une plateforme de premier rang en Afrique?

Effectivement, nous sommes partis d’un constat simple : l’accroissement des flux d’investissements en Afrique aura pour corollaire la nécessité d’offrir une sécurité juridique aux investisseurs, en leur proposant des modes alternatifs de règlement des litiges. Au lieu d’aller à Paris, Londres ou ailleurs, nous estimons qu’il serait beaucoup plus opportun et moins coûteux pour les investisseurs opérant sur le continent africain de venir à Casablanca régler leurs litiges.

Pour le Cimac, nous nous sommes entourés de sommités de l’arbitrage international. Ce long travail a abouti en janvier 2017 à l’entrée en vigueur du règlement de la Cour d’arbitrage de Casablanca, qui est la clé de voûte du système, son gage d’efficacité et de qualité selon les meilleurs standards internationaux. Il s’inspire des meilleures pratiques en vigueur, celles de Londres, Paris, Singapour ou encore Hong Kong, et offre en plus la possibilité unique d’opérer en quatre langues, l’arabe, l’anglais, le français et l’espagnol. La Cour d’arbitrage est aujourd’hui présidée par Laurent Lévy, de nationalité suisse, qui est un arbitre de renommée mondiale, épaulé dans ses fonctions par des personnalités telles que Michael Black du Royaume-Uni, Ina Popova de Bulgarie et Dorothy Udeme Ufot du Nigéria.

Fin septembre 2017, CFC a lancé son guichet «Taechir» pour simplifier et accélérer le traitement des demandes d’autorisation de travail des expatriés des entreprises membres. Cet assouplissement des procédures pourrait-il impacter le rang du Maroc (69e dans le DB 2018) dans le Doing Business 2019?

Les facilités offertes par le guichet «Taechir» concernent uniquement les entreprises labellisées CFC. Cette procédure fast-track vient renforcer l’attractivité de la place de Casablanca en permettant de traiter les demandes d’autorisation des Contrats de travail étrangers (CTE) de nos membres au sein même de nos bureaux. À ce premier maillon du guichet unique, nous avons introduit, avec la Commune de Casablanca, la possibilité de faire légaliser les signatures et la certification des copies conformes également dans nos locaux. Ces mesures complètent notre panoplie d’incitations et de mesures d’accompagnement en faveur de notre communauté d’affaires.

Casablanca Finance City opère souvent comme un laboratoire de test pour ces facilités doing business, avec l’ambition que ces incitations puissent être généralisées au niveau national et impacter favorablement le classement Doing Business du Maroc.

Votre centre financier s’intéresse de plus en plus à la finance verte. Il a intégré, en septembre 2017 à Casablanca, le Réseau international des centres financiers pour la durabilité et a récemment émis un green bond de 355 millions de dirhams, d’une maturité de 15 ans, auprès de grands investisseurs institutionnels marocains pour financer en partie la construction de deux nouveaux bâtiments qui devraient accueillir à terme les entreprises labellisées CFC. Quelle place occupe la finance verte dans vos activités et projets?

La finance verte est un sujet d’actualité très important pour nous. À cet égard, notre objectif est clair : nous cherchons à canaliser et intensifier les investissements durables en Afrique. Le continent africain est celui qui est certainement le moins responsable – avec des émissions de gaz à effet de serre inférieures à 4% – mais, hélas, c’est le plus vulnérable au changement climatique.

Les besoins de financement estimés sont colossaux, entre 20 et 30 milliards de $ par an. Pourtant, l’Afrique capte moins de 5% de ces flux. Nous multiplions donc les initiatives pour contribuer à promouvoir cette cause à l’échelle internationale et à mettre en lumière les projets verts bancables en Afrique.

À ce titre, nous avons rejoint cette année le Global Green Finance Index (GGFI) en se plaçant premier dans la région Afrique–Moyen-Orient en termes de qualité et de profondeur. L’écosystème vert de CFC grandit sans cesse, avec des acteurs comme le Fonds Africa50, Green of Africa, Platinum Power et d’autres qui nous rejoindront prochainement.

Nous sommes également membre fondateur du premier réseau international des centres financiers pour le développement durable, le FC4S, sponsorisé par les Nations unies dont le lancement s’est fait en 2017 à Casablanca. Dans le cadre du FC4S, nous travaillons aussi à la création d’un sous-réseau africain de places financières vertes.
En ce qui concerne l’émission récente d’un green bond, CFC vient en effet de lever 335 M DH (36 M$) via une obligation verte qui servira à financer notre programme immobilier respectueux de l’environnement. Cette émission répond à des critères rigoureux et montre tout notre engagement sur cette question importante.

Justement, vous prévoyez d’achever la construction de la Tour CFC (27 étages) qui sera implantée dans la nouvelle ville « Casa Anfa ». Peut-on connaitre l’état d’avancement de ce chantier?

La zone globale de CFC comprend 100 ha, dont 50 ha d’espaces verts. La première tranche du parc est finalisée. S’agissant de la tour, la construction avance, avec une livraison prévue fin 2018, voire début 2019. Il s’agit d’un projet emblématique, en plein cœur de Casablanca, et à moins de 30 minutes de l’aéroport international Mohammed V. D’autres tours de banques et institutions marocaines sont également en construction (Attijariwafa bank, Banque Centrale Populaire, CIMR…). Pour le reste du projet de nouvelle ville de « Casa Anfa », celui-ci s’étend sur plusieurs années puisqu’on parle d’une surface totale de 350 hectares.

Quels sont les principaux objectifs de CFC dans les cinq prochaines années?

En tant que place financière internationale, notre vocation est d’attirer des capitaux et d’accompagner les acteurs économiques et financiers en facilitant la conduite de leurs affaires à partir de Casablanca, sur l’ensemble du continent. Nous sommes convaincus que, prises individuellement, nos économies sont trop petites et trop fragmentées pour intéresser les investisseurs internationaux. Notre objectif est donc de travailler à constituer cette masse critique en approfondissant notre proposition de valeur et en continuant à mettre la lumière sur les opportunités d’investissement en Afrique, pour favoriser l’émergence de nos économies respectives.

Réalisé par Elimane Sembène